Touareg du Mali : du conflit local à l’enjeu transnational
Le nord du Mali est secoué par un conflit entre Bamako et une guérilla touareg qui a augmenté en intensité depuis 2006. Mais le conflit date de l’indépendance du pays. Anne Saint-Girons rappelle que ce soit face au colonialisme français ou aux Etats indépendants malien et nigérien, les «hommes bleus» du Ténéré ont régulièrement pris les armes contre ceux qu’ils estiment être des envahisseurs et des oppresseurs. En 1914, les Touareg maliens sont les premiers à se révolter et à utiliser les armes contre l’administration coloniale française, considérée comme un asservissement. Les Touareg réclament «l’Organisation commune des régions sahariennes» (OCRS) correspondant à l’espace occupé et l’organisation d’un État. La France s’y opposa.
Le conflit au Mali
Après l’indépendance, l’administration et l’armée maliennes occupent les postes laissés par les administrateurs français, sans effacer l’impression d’oppression. Dès 1959, les Touareg se révoltent, et ne déposent les armes qu’en 1964. Les combats cessent, mais pas l’hostilité. Très vite un fossé se creuse avec la région de Kidal qui reste une zone dangereuse, interdite aux touristes et fortement militarisée. D’ailleurs, Gao, ville mythique, capitale des Askias (chef religieux) au XVIe siècle est la septième région du Mali mais aussi comme le point de départ du conflit qui frappe la partie septentrionale de ce pays. L’ensemble de la région du Nord est traversé, depuis l’accession du Mali à l’indépendance, par des rébellions armées (1962-1964) que les différents gouvernements ont essayé d’enrayer en vain par la répression. Le mot «Touareg» est lui-même révélateur. Il s’agit d’un surnom venu de la langue arabe, les nomades se nommant entre eux «Kel Tamasheq» (littéralement, ceux qui ont pour langue le berbère tamasheq). Rappelons que le Nord-Mali correspond à l’espace géographique des trois régions économiques et administratives de Tombouctou, Gao et Kidal, soit près des deux tiers du territoire national avec environ 10% de la population du Mali. Au Mali-Nord, les populations blanches nomades du Sahara (Touareg et Maures) cohabitent avec les populations noires d’agriculteurs et d’éleveurs. Les nomades s’opposent à l’autorité centralisée des Etats qui personnifient des frontières intangibles, en totale contradiction avec leur mode de vie et leur culture. Le conflit s’est aggravé avec l’accumulation des frustrations nées de discriminations entre populations noires et nord-africaines et entre sédentaires et nomades. Cet aspect relatif aux relations entre l’autorité centrale et les forces locales est mis en avant par Baba Dembélé et Boubacar Bâ qui étudient les conflits fonciers pastoraux et le manque de décentralisation. Pour eux, si les communes et les élus sont connus, leur rôle et leurs responsabilités dans le développement local sont encore largement ignorés, surtout quand il s’agit de la sécurisation de l’accès au foncier rural et aux ressources naturelles locales. Concernant cet important élément de la vie économique et des distributions des richesses, les responsables locaux sont jugés, au mieux impuissants, au pire, complices des spoliations. Les deux chercheurs estiment que «la politisation excessive des élus locaux et les promesses électorales répétées et non tenues ont fortement contribué à la décrédibilisation de la décentralisation». Un exemple est donné à travers la région de Saré Seyni, où la taxation de la transhumance est particulièrement mal vécue par les éleveurs, car considérée comme le symbole d’une augmentation inacceptable des coûts de la transhumance qui les conduit chaque année du Delta vers les pâturages du Mema, au Nord. En fait, les communes sont perçues comme de nouveaux prédateurs par les éleveurs qui versent dans l’incivilité. Pour Awanekkinnan, l’insécurité latente dans le Nord a fini par créer des conflits entre ethnies du Mali et plus seulement entre rebelles touareg et militaires du gouvernement. Celui-ci annonce, d’ailleurs, sporadiquement avoir tué ou arrêté des membres d’une milice rebelle anti-touareg. Ce type de groupe s’est multiplié. Un exemple. «Les fils de la terre», constitués d’une centaine de Peulhs et de Songhaïs, deux des autres ethnies représentées dans le Nord-Mali Ce groupe est dirigé par un ancien officier de l’armée et attaque régulièrement les Touareg. Ramifications régionales du conflit
Le conflit dans le nord du Mali dépasse les frontières de ce pays pour une multitude de raisons. Premièrement, la population touareg se trouve disséminée sur cinq Etats aux politiques différentes et aux relations changeantes. La communauté touareg compterait entre 1 à 1,5 million d’âmes éparpillées sur un territoire de quelque 2 million de kilomètres carrés occupés. Le Niger compte 7 à 800 000 Touareg, le Mali en abrite pour sa part près de 600 000, l’Algérie, 50 000 et la Libye 30 000. Aussi toute tension survenant au Mali -ou au Niger- a-t-elle des répercussions immédiates dans le pays voisin. Ce territoire reste extrêmement difficile à contrôler en raison de son immensité, des conditions de vie, de ses frontières passoires, de la facilité de mobilité, etc. De juteux trafics de cigarettes, de drogues, d’armes transitent par cette zone et alimentent l’instabilité. Deuxièmement, les populations se déplacent. A partir de 1972, la sécheresse persistante qui s’installe dans le nord du Mali décime les troupeaux, source principale de subsistance des populations nomades. Appauvries, elles cherchent refuge dans les pays voisins, notamment l’Algérie et la Libye. En Libye, les jeunes sont enrôlés dans la Légion islamique et reçoivent une formation militaire et idéologique. Mais la sécheresse n’est pas l’unique cause de ce regain de violence. Les analystes évoquent, en effet, deux autres raisons : le retour des jeunes exilés formés en Libye, qui avaient appris le métier des armes, et l’expulsion par l’Algérie d’environ 20 000 réfugiés. Certains de ces jeunes formeront les mouvements qui déclenchent les hostilités en juin 1990. Pour des raisons évidentes, les combats font peur aux habitants de la région du Nord. La solution se trouve, parfois, dans la fuite vers les pays voisins. Le Burkina Faso en fait partie. Selon Lassina Fabrice Sanou du quotidien burkinabé le Pays, des civils touareg du Mali cherchent refuge au Burkina Faso. Ils seraient devenus indésirables dans leur pays, parce que des membres de leur communauté ont pris le maquis contre le régime en place. Bon nombre ont opté pour l’exil vers les pays voisins. Entre mai et juin 2008, 900 réfugiés touareg sont ainsi arrivés au Burkina Faso, parmi lesquels 300 personnes –hommes, femmes et enfants– ont été logées dans un stade de la capitale, tandis que les autres sont restés à Djibo, près de la frontière avec le Mali. Selon l’un des réfugiés, Mohamed Alher Ag Abou, il y aurait même parmi eux des Nigériens, mais qui ne se sont pas encore déclarés comme tels. Le Niger connaît une situation analogue à celle du Mali. Les réfugiés ont dû abandonner tous leurs biens, et surtout leurs troupeaux, pour se réfugier au Burkina Faso.
Le terrorisme dans l’équation
Le troisième aspect de la régionalisation du conflit est d’ordre sécuritaire. L’ensemble des experts remarquent que la longue marginalisation du Ténéré des Kel Tamasheq est remise en cause par l’apparition d’enjeux géopolitiques nouveaux, à savoir la présence d’El Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de l’armée américaine. Les responsables de l’Alliance démocratique du 23 mai 2006 pour le changement ont nié toute participation avec le groupe terroriste du GSPC et ont tenu à dénoncer «ceux qui ont tenté en vain de porter atteinte à leur intégrité morale en prétendant que les combattants touareg collaboraient avec des éléments du GSPC et ceux qui ont essayé d’utiliser la résistance armée touareg pour combattre les salafistes». Une manière, selon le mouvement, de se «débarrasser des uns et des autres». D’ailleurs, des représentants du gouvernement malien et le mouvement touareg de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement, ainsi que la médiation algérienne ont tenu en juillet 2009 une réunion à Bamako. C’était la première visite officielle des ex-rebelles touareg dans la capitale malienne. L’Alliance s’est engagée à coopérer avec le gouvernement malien en matière de lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel. Les trois parties ont décidé de mettre en place une série de mesures destinées à renforcer le processus de paix dans le nord du Mali. Parmi les mesures décidées : la création d’unités spéciales de sécurité dans le nord du Mali. Selon Awanekkinnan, les dirigeants de l’Alliance démocratique du 23 mai 2006 envisagent d’internationaliser leur conflit auprès des Nations unies, l’Union africaine, l’Union européenne et divers organismes mondiaux. En se basant sur le droit international, le mouvement de l’Azawad voudrait soumettre un dossier comportant une demande d’appui de la communauté internationale à la revendication d’un «statut particulier» pour les territoires touareg, seul mécanisme, à leurs yeux, à garantir aux populations locales «la préservation de leur identité et d’assurer leur survie et leur développement socio-économique». L’Algérie : priorité aux négociations
En tant que peuple autochtone du Sahara, les Kel Tamacheq comptent également bénéficier de la reconnaissance internationale concernant leur liberté de circulation transfrontalière afin de pouvoir maintenir leurs liens ancestraux avec tous leurs territoires répartis entre plusieurs Etats (Mali, Niger, Libye, Algérie, Mauritanie, Burkina Faso) et leur garantir un «accès équitable aux ressources de leur terre et de leurs territoires». Un premier pas symbolique a été franchi avec le Conseil mondial amazigh (CMA), dont le président, Belkacem Lounes, a effectué une visite en 2008 dans la région touareg au nord du Mali pour rencontrer les dirigeants de l’Alliance démocratique. L’instabilité dans la région du Sahel a toujours constitué une préoccupation majeure pour l’Algérie. Les autorités algériennes ont toujours redouté des connexions entre les mouvements terroristes de l’ex-GSPC et les rebelles touareg. L’autre préoccupation de l’Algérie vient de la Libye. Considérant cette région comme sa zone d’influence, la Libye n’hésite pas à multiplier les initiatives différemment accueillies. L’une de ses initiatives a consisté à dépêcher, en 2008, une délégation de la Ligue populaire et sociale des tribus du Grand Sahara en vue d’une médiation de réconciliation entre les autorités du Mali et du Niger avec les rebellions touareg au nord de ces deux pays. Comme le souligne Youssouf Bâ, cette initiative mobilise des instruments de médiation fondés sur les rapports sociaux, culturels et civilisationnels. Ainsi la mission était-elle composée de chefs de tribus et notables de 15 pays issus de pays arabes et africains. Quoi qu’il en soit, l’Algérie a toujours posé deux conditions : premièrement, que les objectifs des Touareg ne soient pas liés à une revendication autonomiste ou sécessionniste ; deuxièmement, que les deux parties acceptent la médiation. A ce propos, Hassan Fagaga, le chef des Touareg qui avait, publiquement, exigé une large autonomie pour la région de Kidal, avait fait machine arrière et accepté la condition algérienne en 2006. Réunis à Alger, des dirigeants de l’Alliance pour la démocratie et le changement (ADC), réunissant différents groupes d’ex-rebelles touareg, ont appelé Bamako à appliquer strictement l’accord d’Alger, estimant que ses engagements n’ont pas été totalement tenus. Les participants ont demandé à l’Algérie d’intervenir auprès du gouvernement malien, tout en plaçant le gouvernement algérien devant ses responsabilités comme «garant de l’application de l’accord». Le mouvement de résistance note que seuls le désarmement et leur intégration dans l’administration ont été réalisés parmi tous les points exigés dans l’accord. D’autre part, le mouvement affirme que les combattants ont décidé de se retirer en dehors des zones habitées afin d’éviter les risques encourus par les populations civiles. Rappelons que l’accord d’Alger de juillet 2006 a été signé entre le gouvernement du Mali et l’ADC. Il prévoit, notamment, le développement des régions déshéritées du Nord malien, en grande partie désertique. Signé après l’insurrection de 2006, cet accord a fait suite à un dialogue entre les deux parties engagé avec l’appui de l’Algérie. Dès 2007, l’Algérie et le Mali ont mobilisé 1,15 milliard de F CFA (1,75 million d’euros) pour un fonds spécial dans le cadre de l’accord de paix signé, en 2006 à Alger, et prévoyant le développement des trois régions du nord du Mali (Tombouctou, Gao et Kidal). Le Mali a débloqué 650 millions de F CFA et l’Algérie 500 millions de F CFA. Cet accord faisait suite à l’insurrection commencée en mai 2006 après l’attaque des garnisons de Kidal et Ménaka par «l’Alliance démocratique pour le changement du 23 mai» (ADC). Sans prendre l’ampleur des crises précédentes, la médiation algérienne débouche, le 4 juillet 2006, sur les Accords d’Alger. Mais après un cessez-le-feu d’une année, des attaques et des enlèvements ont repris… Un nouvel accord d’arrêt du conflit est en gestation en juillet 2008. Toujours sous l’égide de l’Algérie, les deux parties en conflit avaient signé, en 1992, un «pacte national» prévoyant, notamment, des «mesures économiques et sociales» en faveur des populations touareg un volet de rattrapage de développement et un statut particulier (autonomie) pour la région de l’Azawad (Nord-Mali), le désarmement des combattants touareg et leur «intégration» dans les différents corps de sécurité et de l’administration de l’Etat. Mais, en 1994, la situation se détériore à nouveau et le Mouvement patriotique Ganda Koye (MPGK) voit le jour. Le MPGK réunit essentiellement des populations sédentaires du nord. Des négociations interethniques aboutissent à la signature des «accords de Bourem» en janvier 1995. Les différentes négociations débouchent, en 1996, sur la cérémonie de la «flamme de la Paix de Tombouctou» au cours de laquelle 3 000 armes sont brûlées pour marquer la volonté de tous les Maliens de vivre en paix. Les MFUA et le MPGK annoncent leur dissolution.
Par Louisa Aït Hamadouche
L. A. H sur latribune-online
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