lutte contre la marginalisation et l'ethonocidaire qui secouent le peuple touareg ..... vive la jeunesse touaregue qui se bat pour les ideaux des martyrs qui ont combattus pour sauver le peuple touareg .... ""VIVE TUMAST IN KEL TAMASHEQ ED TILLA"" .
Les frontières politiques actuelles, héritées de la colonisation, ont artificiellement découpé le territoire touareg en plusieurs parties intégrées à cinq pays différents : l’Algérie, le Niger, le Mali, la Libye et le Burkina Faso. Le pays touareg se définit par une communauté culturelle qui noue ses liens identitaires autour d’une langue, et sur la base d’une organisation familiale, sociale et politique.
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dimanche 17 janvier 2010

La langue berbère-tamazight ne mourra pas...



Interview de Abdelaziz Berkaï, enseignant de linguistique berbère à l’université de Bgayet (Bejaïa

Lorsque les manifestations du printemps berbère de 80 sont arrivées dans mon village (Raffour dans la wilaya de Bouira), elles m’ont surpris dans l’école primaire locale en train de subir un cours de langue étrangère. Les manifestants nous ont donc fait sortir dans la rue manifester et scander à haute et vive voix : « Imazighen ! Imazighen !... Ad nerreẓ wala ad neknu !... Je pense que ces évènements m’ont définitivement marqué. D’ailleurs au collège et au lycée, plus tard, avec trois autres élèves, nous avons crée un groupe (clandestin) de défense de la langue tamazight, avec des cartes d’adhésion et un sceau portant l’empreinte de l’emblématique lettre de l’alphabet tifinagh (Z). Etudiant à l’Université Mouloud Mammeri (en mathématiques), je faisais déjà des travaux sur le lexique de ma langue maternelle. J’ai toujours chez moi un gros cahier où sont consignées des noms de plantes en kabyle, illustrées non pas par des images, mais par les plantes elles-mêmes, protégées par une couverture en scotch transparent. La transcription est faite en caractères latins que j’ai apprise avec le livre de Ramdane Achab : Tira n tmazight, un ouvrage bilingue, plus accessible que Tajerrumt n tmazight de Mouloud Mammeri, écrite entièrement en kabyle, que j’ai lu bien évidemment plus facilement par la suite. C’est donc tout naturellement que je me retrouve après dans la première promotion des enseignants de tamazight de Ben Aknoun, devenant enseignant de ma langue maternelle au lycée dès son introduction dans le système éducatif en 1995, d’abord dans ma région à M’Chedallah, puis à partir de 1997 dans la ville de Bgayet où je poursuivais des études de post-graduation en langue et culture amazighes (option : linguistique), et ce jusqu’en 2002 où j’ai quitté le lycée pour être recruté à l’Université où je travaille jusqu’à présent.

Pourquoi avoir écrit un lexique en langue française, anglaise et berbère ?

Ce lexique est tiré en grande partie des résultats de mes recherches en magistère qui portaient sur l’élaboration d’une terminologie de la linguistique en tamazight à partir de celle qui existe en français, avec ajout bien entendu des termes spécifiques à la linguistique amazighe (état d’annexion, indicateur de thème...). Ce travail avait pour finalité de résoudre le gros problème terminologique qui se pose à l’enseignement de tamazight en tamazight, notamment concernant la linguistique (dont la grammaire), auquel j’étais confronté moi-même en tant qu’enseignant de cette langue, d’abord au lycée et plus encore, par la suite, à l’Université. Dans cet ouvrage, nous avons élargi la nomenclature initiale pour la porter à deux mille unités qui couvrent quasiment l’ensemble du lexique du domaine : de la phonétique/phonologie à la psycholinguistique, en passant par la morphosyntaxe, la lexicosémantique, la sociolinguistique... Aussi avons-nous ajouté comme langue cible l’anglais pour élargir l’audience de la publication qui s’adresserait, en plus des amazighophones, à des francophones et anglophones, et faciliter ainsi sa diffusion.

L’UNESCO annonce la disparition de la langue berbère en 2050, qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas d’où l’on tire ce type de conclusions complètement absurdes, ne tenant aucun compte des réalités langagières, ni même d’ailleurs des données scientifiques disponibles sur le sujet. Le simple fait de savoir que dans les régions amazighophones existent au moment où l’on parle des milliers de jeunes de moins de vingt ans (Kabyles, Touaregs, chleuhs...) qui ne parlent que cette langue au quotidien et qui seront sans doute, pour une bonne partie d’entre eux, toujours là dans cinquante ans, remet très simplement et complètement en cause cette annonce funèbre. Elle a tout de même un mérite, par son aspect grave et émotif, celui d’interpeller les amazighophones quant à l’attitude qu’ils doivent avoir à l’égard de leur langue maternelle. Beaucoup de facteurs favorisent la disparition des langues, comme l’oralité, le nombre réduit des locuteurs, la dialectalisation, mais le facteur le plus favorisant, et de loin, demeure celui de la non transmission de sa langue maternelle à ses enfants. Ce refus de transmission peut être conscient, comme il peut être inconscient. Le sociolinguiste américain Salikoko Mufwene, dans un ouvrage récent paru aux éditions l’Harmattan, note que la mort des langues s’opère de façon insidieuse : chaque locuteur pense que son seul comportement n’a aucune conséquence sur la communauté et fait peu attention au fait qu’il n’est pas le seul à se comporter ainsi. Cette absence de transmission, ou même une transmission très partielle aboutit en quelques générations à une disparition totale d’une langue.

D’un monolinguisme dans la langue maternelle, on passe à un bilinguisme favorable à celle-ci, puis à un bilinguisme équilibré, s’en suit un bilinguisme défavorable à la langue maternelle qui se termine par un monolinguisme dans la langue « dominante ». Des 6000 langues qui existent actuellement (estimation moyenne), des linguistes et autres futurologues, se fondant sur des statistiques très discutables, pensent qu’il n’en resteraient que la moitié dans un siècle. Des langues essentiellement orales et parlées par des communautés très réduites en terme du nombre de locuteurs. On insiste sur l’oralité, alors que les facteurs de conservation et de transmission des langues ont fondamentalement changé. La langue n’a pas besoin aujourd’hui d’être écrite pour qu’elle soit conservée et mieux qu’elle ne peut l’être par écrit. C’est ce qu’on appelle en historiographie l’anachronisme : on fait des projections dans le futur lointain en raisonnant avec des paradigmes du passé. Francis Bacon, le grand philosophe et homme politique anglais, n’avait-il pas écrit en latin, au début du XVIIe siècle quand celui-ci était la langue du savoir universel, dans son Novum Organum que « l’anglais deviendrait complètement désuet lorsque ses compatriotes seraient plus instruits » ? Qu’en est-il de ces deux langues aujourd’hui ? C’est exactement l’inverse qui s’est produit ! En fait de langues, il faut savoir raison garder. Qui a pensé il y a un peu plus d’un siècle que l’hébreu, mort depuis au moins le IIe siècle, allait devenir, par la « folie » d’un certain Eleizer Ben Yehouda et de la foule qu’il a pu convaincre par la suite, la langue que les hébreux utilisent aujourd’hui dans tous les domaines, tant dans leur vie familiale que dans l’enseignement de tous les savoirs, au plus haut niveau de l’Université ! D’aucuns pensent que les nouveaux outils de communication, comme l’informatique et l’Internet, profiteraient essentiellement à l’anglais pour asseoir définitivement sa domination. En réalité, par leur nature démocratique, ils profitent aussi, pour ne pas dire surtout, aux langues minorées, ou dispersées, qui ne disposent pas de moyens étatiques pour leur diffusion. Le yiddish et surtout l’espéranto qu’on disait agonisants il y a quelques dizaines d’années, revendiquent aujourd’hui des centaines de milliers de locuteurs, grâce à ces nouveaux moyens tombés du ciel... américain ! Pour terminer, je voudrais relativiser ce concept de « mort » qu’on utilise pour les langues comme s’il s’agissait de véritables être vivants qui meurent sans possibilité de ressusciter. Le « corps » d’une langue (premier terme de l’opposition saussurienne langue vs parole), pour peu qu’il soit bien conservé, par écrit ou par enregistrement sonore, peut retrouver son âme (la parole) après s’en être séparé même pendant des millénaires, comme le montre on ne peut mieux l’exemple de l’hébreu.


Que dire à tous ces berbères qui ne parlent plus et qui ont choisi d’oublier la langue berbère (au profit de l’arabe ou du français) ?

Je leur dirais simplement, en reprenant deux grands esprits français, un sociolinguiste et un lexicologue, amoureux de leur langue maternelle face au « péril » anglais, que « La perte de sa langue, pour tout individu, c’est aussi, en quelque façon, celle d’une partie de son âme », écrit Claude Hagège dans son Combat pour le français au nom de la diversité des langues et des cultures, paru en 2006 aux éditions Odile Jacob, et que « ceux qui méprisent et haïssent leur idiome maternels sont malheureux », renchérit Alain Rey, directeur scientifique des dictionnaires Le Robert, dans son Amour du français, contre les puristes et autres censeurs de la langue, paru aux éditions Denoël en 2007. Je ne voudrais pas, personnellement, pour mes propres enfants qu’ils vivent sans une partie de leur âme ni qu’ils soient malheureux. Je pense que les enfants ont le droit d’apprendre la langue de leurs parents et que c’est un devoir, par conséquent, pour ces derniers de la leur transmettre. C’est à eux par la suite de décider de l’usage qu’ils doivent en faire pour eux-mêmes. Et puis, Claude Hagège qui parle plus d’une dizaine de langues l’a déjà dit quelque part (je me souviens pas de la source) : plus on maîtrise de langues, plus c’est plus facile d’en maîtriser d’autres. Autrement dit, et pour donner un exemple très concret, c’est plus facile pour un enfant qui parle kabyle et français (ou arabe) de parler anglais, que pour celui qui ne parle que français de parler cette autre langue, parce que les systèmes linguistiques se ressemblent. C’est un peu comme les mots croisés : plus on en fait, plus c’est plus facile d’en faire.

Quels sont les ouvrages que vous avez édités et les thématiques sur lesquelles vous travaillez ?

J’ai édité un premier ouvrage en collaboration avec deux autres auteurs intitulé Mes amis les animaux/Imeddukal-iw ighersiwen, une imagerie bilingue français-tamazight sur les animaux, l’image de l’animal accompagnée de son nom et d’un commentaire sur lui plus ou moins long, le tout en couleur et sur du papier glacé, un ouvrage bien fait matériellement (imprimé en Espagne), aux Editions BERTI en Algérie, en 2002. Le manuscrit (le pré-tirage) comportait quelques erreurs de saisie et autres ambiguïtés, que nous avons corrigées avant de le retourner à l’éditeur. Mais, à notre surprise, le livre est édité sans qu’aucune erreur ne soit corrigée ! Ce livre est maintenant épuisé. Quant à ce Lexique, il a d’abord paru en France chez l’Harmattan en 2007, avant que je ne le propose à Ramdane Achab, au lancement de ses nouvelles Editions, pour une réédition en Algérie. Achab n’a pas seulement accepté de le rééditer, après avoir demandé et obtenu l’autorisation de l’Harmattan, mais il a apporté au manuscrit, en fin connaisseur du domaine, des modifications très pertinentes qui l’ont amélioré. Je tiens ici à lui exprimer toute ma gratitude.


Quelle est votre analyse sur le marché du livre berbère aujourd’hui en France et ailleurs ? Et comment voyez-vous son avenir ?

Je pense que le marché du livre berbère est aujourd’hui en pleine expansion. Cette expansion est due très simplement aux nouvelles fonctions que cette langue a acquises depuis quelques années, notamment son introduction dans le système d’enseignement en Algérie et au Maroc et son accès plus important aujourd’hui à l’audiovisuel, avec des chaînes de télévision et de nouvelles radios, qui l’ont rendue plus visible et plus audible qu’elle ne l’était avant. Ces nouvelles fonctions engendrent tout naturellement de nouveaux besoins, inexistants jusque-là pour certains, qu’il convient de satisfaire non pas seulement quantitativement, mais aussi et surtout qualitativement. Ne dit-on pas en kabyle qu’ « une poignée d’abeilles vaut mieux qu’un sac de mouches » (Takemmict n tzizwa xir udhellaâ g-gizan) ! Il existe de plus en plus d’ouvrages de qualité qui traitent de la langue tamazight et qui sont appelés à se multiplier à l’avenir, favorisés par une demande à la fois pressante et exigeante. Pour conclure, je dirais que tant qu’il y aura des locuteurs loyaux vis-à-vis de leur langue maternelle, qui la transmettront à leurs enfants, et j’ai l’intime conviction qu’ils sont très nombreux, son avenir et celui de son livre ne peuvent qu’être assurés.

Propos recueillis par S.A

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