Mahmoud Ag Sid Ahmed, ancien rebelle du soulèvement touareg au Nord Mali, raconte le désespoir d’une population livrée à la misère, les maladies, la violence terroriste, la sécheresse et le déni de droit. Témoignage sur une situation chaotique qui risque d’échapper à tout contrôle.
La quarantaine largement dépassée, Mahmoud Ag Sid Ahmed est un ancien combattant de la rébellion touareg au nord du Mali. La misère, le déni de citoyenneté et la frustration ont été pour beaucoup dans sa désertion des rangs de l’armée malienne. Alors qu’il avait le grade d’officier, il est parti rejoindre ses proches retranchés dans le massif de Tigharghar, un bastion de la rébellion touareg situé à l’est de Tessalit. La signature de l’Accord d’Alger en juillet 2006, grâce à la médiation de l’Algérie, lui a redonné espoir de voir sa région sortir de l’isolement et de la déchéance. Comme bon nombre de ses compagnons, il décide alors d’abandonner la lutte armée et de rentrer chez lui à Kidal, en attendant la réinsertion sociale promise par le gouvernement malien. Mais le retour lui a permis de découvrir que rien n’a changé et que rien ne changera dans sa ville. La misère dans laquelle vivaient ses proches s’est accentuée et les engagements de l’Etat n’étaient en fait qu’un mirage.
Présent à Alger pour prendre part aux travaux de la conférence des cadres dirigeants de l’Alliance du 23 mai pour le changement (ADC), l’aile politique de la rébellion touareg, il revient sur le quotidien terriblement difficile de la population du nord de Kidal. Fortement éprouvée par la violence, celle-ci fait face à une rude sécheresse qui vient à bout de son cheptel, des pâturages et des points d’eau, seule source de vie. « C’est devenu une sorte d’habitude chez nous. Les situations de crise ne font que s’accumuler sans qu’aucune ne soit résolue. La situation est alarmante. Cela fait plus d’une année qu’aucune goutte d’eau n’est tombée, alors que la région vit essentiellement de l’élevage. D’ailleurs, les éleveurs ne trouvent ni pâturage ni points d’eau pour faire vivre leur cheptel. Beaucoup assistent, impuissants, à l’agonie de leurs bêtes. Parallèlement à cette catastrophe naturelle, aucune activité économique n’a été entreprise dans la région, alors que les maladies et mêmes les épidémies emportent régulièrement les femmes, les enfants et les personnes âgées faute d’une prise en charge sanitaire et d’infrastructures de santé. L’Etat est totalement absent de cette région. Il ne fait ni de la prévention sanitaire ni de l’intervention d’urgence. Les Touareg vivent un quotidien chaotique qui ne fait que s’aggraver chaque jour… », révèle l’ancien rebelle. Le cœur plein de colère, il parle longuement des détails du vécu de ses concitoyens livrés, dit-il, « à l’isolement et à l’abandon ». J’ai interpellé le gouverneur de Kidal sur cette situation à plusieurs reprises, mais à chaque fois sa réponse est : « Je ne peux rien faire. Il y a un problème de sécurité dans cette région. » « J’ai proposé de constituer des groupes de sécurité pour escorter les équipes médicales, suivre le cheptel, garder les points d’eau, mais il a refusé l’offre, sous prétexte que cela relève de l’armée. Ils nous ont pris nos armes et nous obligent à voir nos familles et nos bêtes mourir sous nos yeux », souligne Mahmoud. Il s’arrête un moment et continue son récit. « Vous savez, être muté à Kidal pour les militaires est considéré comme une punition. Alors ceux qui sont en poste dans cette région sont totalement coupés de l’environnement et les rares Touareg, qui sont dans les rangs, sont mutés à des centaines de kilomètres plus loin. J’ai à ma charge vingt familles que je dois nourrir et sécuriser. J’aurais pu être plus rentable dans ma région, mais ils m’ont déplacé ailleurs, là où je ne peux être utile. Tout comme ceux qui ont été envoyés au Nord. Ils ne connaissent rien de la région et de plus, ils sont isolés par la population du fait du manque de confiance qu’ils suscitent chez celle-ci », note-t-il.
Mahmoud sirote son thé, prend le temps de répondre au téléphone, puis revient à son vécu, qu’il raconte d’une voix nouée. « Beaucoup parmi les Touareg ont quitté les rangs de l’armée non pas par éloignement, mais parce qu’il y avait aussi une grave discrimination ethnique. Ils étaient sous-payés et mal traités par rapport à leurs collègues non touaregs », dénonce-t-il. Selon lui, ses camarades ont pris la décision de déposer les armes parce qu’ils ont cru qu’en contrepartie de leur acte, la région allait connaître un changement économique. « Ils étaient 600 en 2006 et 700 en 2009, à y avoir vraiment cru. Mais dès que les armes se sont tues, la désillusion a été totale. Aucune des mesures prévues dans le cadre de ce dépôt des armes n’a été concrétisée. Nous nous sommes retrouvés au point départ, avec plus de misère, plus de morts, plus de malades et un avenir encore plus incertain pour un plus large pan de la population. Les ONG humanitaires et les partenaires qui allégeaient quelque peu la souffrance de nos concitoyens ont tous quitté la région et le gouvernement nous tourne le dos, sous le prétexte fallacieux de l’absence de sécurité. Il laisse les terroristes agir en toute liberté et nous empêche de nous organiser pour les chasser. De juillet 2006 à ce jour, l’attente et tout ce qu’elle a entraîné comme souffrance n’a que trop duré. Nous sommes arrivés à une situation sans issue. Il fallait faire le pas et interpeller le pays médiateur qui nous a fait croire que l’espoir d’un changement était permis. Nous avons laissé beaucoup de temps de réflexion au gouvernement, en vain. Nous avons pensé qu’étant donné qu’entre l’Etat et l’Alliance, il n’y a plus de dialogue, il faut alors une troisième partie, l’Algérie, pour faire ensemble le bilan et amener tout le monde à la table des négociations et arriver enfin à concrétiser la paix durable sur le terrain. » Mahmoud semble très inquiet quant à l’avenir de sa région. Pour lui, si ces tentatives de reprise du dialogue n’aboutissent pas et que la situation désastreuse persiste, la région va basculer vers l’inconnue et échapper à tout contrôle. Selon lui, pour éviter un tel scénario, il faut juste faire appel à ces quelques volontés qui tiennent à l’Accord d’Alger et qui se trouvent au sein de l’Etat malien pour aller au-devant et créer les conditions de mise en application des mesures prévues pour une paix durable.
« Toute la population touareg a nourri beaucoup d’espoir sur cet accord. Elle a trop enduré et veut vivre comme les Maliens du Sud. Elle veut juste son droit à une vie décente, une dignité et une citoyenneté à part entière. L’Accord d’Alger n’appartient à personne. Il a été signé pour répondre aux besoins de la population touareg, mais ces besoins tardent vraiment à voir le jour. Nous avons peur que les milliers de jeunes désabusés et vulnérables se détruisent par des activités criminelles ou détruisent leur région en rejoignant les rangs des terroristes. En fait, c’est l’objectif que veut atteindre Bamako, pour pointer du doigt la population et la montrer aux yeux du monde comme une alliée des terroristes ou des trafiquants en tout genre », déclare Mahmoud. Le regret de voir sa région natale au rang des pays les plus pauvres en dépit de ses grandes richesses naturelles le ronge souvent. « Peut être que ce sont ces richesses qui constituent en réalité notre malheur, pour les convoitises qu’elles aiguisent. » La conférence d’Alger représente pour lui une lueur d’espoir, pour peu, ajoute-t-il, « que l’Algérie pèse de son poids pour ramener le Mali à ses engagements. Il y va de la stabilité du nord de Kidal, mais également de tous les pays de la région, dont l’Algérie. »
Par Salima Tlemçani
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