« Je suis fils d’une terre et d’un terroir amazighs par excellence » « Ma position est celle des amazighs de Libye »
Traduit de l’arabe par : MOHA MOUKHLIS
Question classique : qui est Ouzzin Aherdan ?
Ouzzin Aherdan : Je voudrais d’abord saluer fraternellement les responsables du site Oussan de Libye, des amis dont je suis fier, des militants exemplaires. Je salue également vos lecteurs et merci de m’avoir offert l’occasion de m’exprimer.
Ouzzin Aherdan est un amazigh du Moyen Atlas, né à Oulmès en 1948, sous la colonisation, au moment où les structures sociales et les conditions de vie étaient encore « naturelles ». De ce fait, je suis né sous la tente. Les conditions de mon enfance sont les mêmes que celles de mes grands parents. Avec l’avènement de l’indépendance, tous les aspects de la vie furent chamboulés. La première perte a affecté la tribu et son rôle central au niveau social. La tribu est toujours là mais vidé de son contenu structurel et de son impact direct sur la population. Et je me considère comme enfant de cette donne amazighe avec tous les changements qui l’ont touché. Mon parcours scolaire : scolarité chez les sœurs à Oulmès, l’académie militaire et Ecole des Cadres Supérieurs du Tourisme, du Marketing et de Gestion en Suisse.
Je suis toujours enfant de la terre, attaché à la terre et ne travaillant que sur ma terre Je sui paysan comme mes ancêtres et je me complet dans ce labeur. Ma terre et la source de vie pour moi et ma famille.
Question : Vous êtes né dans le contexte de la tribu amazighe, fils de Mahjoubi Aherdan, personnalité politique d’envergure, icône du mouvement national marocain d’une grande famille de notables respectés du Moyen Atlas…quelle spécificité vous confère ces données ?
Ouzzin Aherdan : Effectivement, je suis fils d’une terre et d’un terroir amazighs par excellence. Mon combat militant, riche et politique commencé très tôt. Mon père connu dans les milieux politiques fut le premier à s’être engagé pour l’amazighité au Maroc après l’indépendance et de manière officielle en 1957. Et je conseille à tout ceux qui s’intéressent à cette période de consulter l’important ouvrage de Jean et Simone Lacouture « La Maroc ». Dans cet ouvrage, la question amazighe a été posée à trois leaders politiques, après l’indépendance :
Allal El Fassi qui a répondu : « il n y a pas de problème avec l’amazighité, des écoles en langue amazighes seront ouverte dans les campagnes et la problématique sera résolue et vous n’entendrez plus de problème sur l’amazighité dans l’avenir du Maroc ;
Mehdi Ben Barka qui a répondu que le problème est lié au développement des campagnes et une fois nos projets de développements lancés moult problèmes seront résolus, y compris l’amazighité ;
Mahjoubi Aherdan qui a répondu qu’il n’ y a pas des Arabes et des Amazighes au Maroc, tous les marocains sont amazighs quant à l’origine et à l’identité. Certains ont été arabisés au niveau de la langue seulement, ni plus ni moins.
Ce fut la position de mon père depuis le début, de manière audacieuse et courageuse. Position qui expliques les animosités voire les haines qui s’en suivirent, de la part des milieux politiques à l’intérieur et à l’extérieur. Sans oublier les procès d’intention et les accusations de complot, de racisme et de séparatisme. L’histoire témoigne : nous sommes restés fidèles à nos principes et c’est l’autre qui est désormais convaincu de notre position et de la légitimité de notre discours.
Question : Ouzzin Aherdan a une riche expérience avec la mouvance amazighe, depuis les années soixante dix du XX ème siècle, il a travaillé avec les leaders du combat amazigh, il a vécu les étapes de la passion militante et celles de la fondation, faites de bonheur et de déception. Que retient votre mémoire ?
Ouzzin Aherdan : La revue AMAZIGH fut le premier commencement, en tant que première revue périodique amazighe édité en Afrique du nord. Ses promoteurs furent des intellectuels et des militants amazighs au Maroc : Feus Sedki Ali Azaykou et Mohamed Khair-Eddine. Ce fut une expérience exemplaire. Sauf que les détracteurs de l’amazighité et des Amazighs ne s’arrêtèrent qu’après son interdiction. La première version de la revue était en français et comportait des contributions intellectuelles et culturelles ainsi que des leçons de l’amazighe en caractères tifinaghes. La version en rabe a été programmée pour l’année d’après. La version amazighe fut programmée pour la troisième année. La version française fut éditée durant la première année, sans problèmes. A la publication de la version arabe, accessible à un large public de lecteurs arabisés qui s’informèrent sur le discours amazighe, l’interdiction tomba immédiatement. Nous fûmes arrêtés en 1982. Les incarcérations étaient aléatoires. J’ai écopé de onze jours de détention. D’autres moins d’une semaine. Feu Ali Azaykou écopera de deux ans de prison arbitrairement. Car l’affaire fut instrumentalisé et les autorités furent d’Ali Azaykou le bouc émissaire. Je ne me suis jamais tu.
Les crises alors se succédèrent. La situation politique se détériora. En 1982, notre arrestation provoqua une secousse. En 1983, le Gouvernement se retourna contre notre parti (Mouvement Populaire), en 1984, Aherdan eut un différent avec le Palais. Un putsch fut fomenté contre Aherdan, avec la bénédiction des autorités. De la plus Haute Autorité au Chioukh et Moqaddem. C’’est ainsi que de 1982 à 1994, nous vécûmes des complots politiques planifiés et notre objectif principal a été de rétablir la légitimité d’Aherdan. Nous y avons mobilisé toute notre énergie. En 1991, nous avons organisé, avec défi le congrès du parti Mouvement National Populaire. Après le congrès, nous avons repris le combat amazighe. Ce fut la revue TIFINAGH. Et pour l’histoire, je peux affirmer que l’équipe qui a lancée la revue TIFINAGH est celle, majoritairement, qui fut dernier la création du Congrès Mondial Amazigh.
Question : Parlons donc de ce tournant : après le combat en interne, vous vous êtes orientés vers le rayonnement externe (internationalisation de l’amazighité). Vous avez des relations personnelles et des liens solides au niveau régional et international : Algérie, Iles Canaries, Touaregs, Diaspora amazighe…Comment s’est opérée l’internationalisation ?
Ouzzin Aherdan : Je suis parmi les trois premières personnes qui se sont activés pour la création du Congrès Mondial Amazigh. L’idée était venue du Groupe de la revue TIFINAGH. Elle fut posée précisément par MM. Omar Louzi, Mouloud Lounaoussi (tous les deux membres de l’équipe TIFINAGH) et Hassan Id Belkacem à Genève, en marge de la rencontre sur les peuples autochtones. Par la suite, le rencontre de Douarnenez dédiée au cinéma amazigh. Une occasion qui nous a permis de rencontrer des amazighs de différentes contrées. Un comité de suivi du projet du congrès a été mis en place. Ce comité sera derrière l’organisation de la rencontre préparatoire de Saint Rome de Dolan. Le Congrès a ainsi vu le jour…
Question : vous ne semblez pas motivé pour parler des suites et des divisions. Tout le monde connaît les détails !
Ouzzin Aherdan : Non, je ne veux pas répéter ce que vous savez déjà. Il est triste que nous soyons la source de la perte de nos efforts et nos sacrifices. Nous avons atteint le seuil de 400 congressistes qui composent l’élite culturelle, intellectuelle et militante amazighe à travers le monde, lors du premier congrès aux Iles Canaries. Puis les choses se relâchent en raison de l’absence de maturité chez certains de nos frères amazighs, leur refus du choix démocratique et le respect du règlement interne de l’organisation. Le plus triste et que nos frères continuent à s’agiter dans le même cercle. Cependant, je reste optimiste. Je garde toujours des relations de respect et d’amitié avec tout le monde, même si je ne partage pas leur avis ou orientation.
Question : et vous avez créé l’Alliance Internationale pour Tamazgha.
Ouzzin Aherdan : Je n’aime pas prendre parti, tous les amazighs sont mes frères. Et la maturité s’acquiert pour tout militant sincère. Ce qui n’ont pas compris aujourd’hui, ils le feront demain. Et je peux d’affirmer que, modestement, j’ai réussi a réunir autour de la même amazighe, des militants amazighs de sensibilités différentes, voire opposées. J’entretiens de bons contacts avec les amazighs de la Diaspora, le mouvement amazigh, les mouvements politiques amazighs d’Algérie, des Iles Canaries et Touaregs. J’ai d’excellents contacts avec les amazighs de Libye avec lesquels nous avons fondé l’Alliance Internationale pour Tamazgha. Notre structure manque de moyens pour réaliser son ambitieux programme mais les contacts sont maintenus et la coordination avance et est prometteuse. Il est normal que nous profitions des échecs et des expériences passés. Notre congrès sera organisé prochainement.
Question : quel diagnostic faites-vous de l’amazighité dans la région et dans la Diaspora ?
Ouzzin Aherdan : La situation aux Iles Canaries est particulière. Le Guanche (variante de l’amazighe) n’est plus d’usage. La personnalité canarienne reste imprégnée de valeurs amazighes. Il existe une prise de conscience grandissante, avec une vision claire. C’est important même si e travail s’annonce ardu et nécessite des efforts. Outre nous devons leur apporter notre soutien. En fait, les canariens se considèrent amazighe et le revendique. C’est un acquis de taille pour le mouvement amazighe.
En Algérie, la situation est différente. Les Kabyles sont le moteur du combat amazighe mais ont besoin de renforcer leurs contacts avec les autres communautés amazighes d’Algérie qui, ne prennent pas d’initiatives pour établir des relations avec les amazighes de Kabyles. Sachant que l’Algérie est globalement amazighe (Chaouis, Mozabites, Aurésiens, Touaregs. ?..)
Dans l’émigration, nos frères Kabyles sont les plus actifs et les plus dynamiques. Dernièrement la jeunesse marocaine amazighe commence à se manifester. Des structures de coordinations sont créées. Cependant le combat reste limité. Il en est de même dans d’autres pays telle la Hollande, la Belgique, l’Espagne…
Mes relations avec les touaregs sont particulières. En 1994, des membres de la famille Ansai m’ont contacté pour visiter le Maroc. J’ai reçu la délégation qui a déclaré sa marocanité et disposer de documents historiques qui attestent leur allégeance aux Rois du Maroc durant des siècles. Ils manifestèrent leur désir d’en faire de même avec le Roi du Maroc. Je fus touché par leur déclaration. Un membre de la délégation est resté chez moi plus d’une année. Il s’agit de Mohamed HABAY. Les doléances étant « sensibles », je demandai un rendez-vous avec mon père pour consultation. Il réussi à nous organisez un rendez-vous avec le Ministre de l’Intérieur, Driss Basri. La délégation touarègue a pu transmettre, directement, aux autorités marocaines, son message. Et en raison de la « spécificité » de la question touarègue au niveau régional, les autorités marocaines restèrent réservées. Elles se limitèrent à un traitement de respect avec la délégation. Puis l’occasion du Congrès Mondial Amazigh se présenta et nos frères touaregs l’ont intégré. Je garde toujours des relations avec les majorités des symboles de la lutte de libération des touaregs.
Concernant la Libye, je dois affirmer mon optimisme quant au combat des amazighs de Libye dans l’émigration. Je respecte leur jeunesse. L’expérience militante amazighe libyenne est prometteuse. Je connais la Libye sur le plan politique et j’ai des relations avec le mouvement amazigh de Libye dont M. Sassi Dahmani qui a contribué à mes publications par des textes littéraire amazighs.
Je me suis, à plusieurs fois, rendu en Libye, dans le cadre d’une délégation de parlementaires marocains, à la fin des années 80. A Tripolis, je fis tout mon possible pour m’informer des amazighe de Libye. Mais les conditions de ma visite ne me permettaient pas d’être libre dans mes mouvements. Et mes rencontres, en Libye, avec des frères amazighs, sont dues au hasard. Je dus rester vigilant, d’autant que mon père, Mahjoubi Aherdan, a tenu face, de manière frontale, au Colonel Kadhafi, à plusieurs reprises, sur la question amazighe.
Question : Cela pour le passé, et qu’en est-il des tentatives du régime libyen pour vous contacter personnellement, ces dernières années ?
Ouzzin Aherdan: Au début de l’année 2006, des intermédiaires du régime libyen m’ont contacté pour une « rencontre d’échange sur l’amazighité » au niveau régional et international. J’ai refusé l’invitation car les amazighs de Libye n’ont pas été impliqués. C’est alors que le régime pris contact avec le Congrès Mondial Amazigh (CMA). Kadhafi a reçu le Président Lounès Belkacem en écartant les concernés : les amazighs de Libye. D’autres rencontres ont eu lieu entre le CMA et Seif Al Islam, fils de Kadhafi. Les résultats sont décevants.
En 2007, avant la rencontre des amazighs de Libye à Meknès, à laquelle j’ai participé, l’ambassadeur de Libye à Rabat m’a exprimé son souhait de me rencontrer de manière urgente. J’ai déclinée la requête, en raison du caractère « urgent » de la rencontre !
Je suis un homme de principe : tout dialogue doit impliquer tous les concernés. Ma position est celle des amazighs de Libye. Ils sont incontournables, objectivement. Je connais le régime libyen répressif ainsi que le caractère versatile et tyrannique de Kadhafi. C’est pourquoi j’ai tenu à être présent lors de la rencontre des amazighs de Libye aux Iles Canaries et je resterai solidaire avec eux et avec les causes légitimes du peuple libyen.
Question : revenons à la région et à la base de vos expériences, où se situe la sortie pour l’amazighité dans la région ?
Ouzzin Aherdan: Je pense que la politique reste la clef de toutes les questions. Il ne s’agit pas de politiser la culture ou la langue, ni les droits. Cependant, les solutions pour toutes ces problématiques sont tributaires de la décision politique. Et sans décision politique, d’une équité juridique et d’une protection constitutionnelle, les faits resteront suspendus.
Les hommes dotés d’une vision à long termes, amazighes ou détracteurs de l’amazighité, réalisent que l’amazighité dépassent les dimensions culturelle et linguistique. L’amazighité est un projet social a venir. A travers l’amazighité se pose les questions de modernité, de relativité, de citoyenneté, de démocratie, de démocratie locale, de décentralisation et de diversité…Ce qui me permet d’affirmer, qu’en plus des initiatives de la société civile, les canaux politiques doivent s’activer. Partis politiques, parlement, lois et décisions politiques, référendums qui rendent justice à notre réalité et octroi des droits à ceux qui en sont spoliés. Les choses avancent, lentement, mais sûrement. Il fut un temps ou les partis politiques (marocains) nous attaquaient en raison de notre position sur l’amazighité. Aujourd’hui, tous, à contre cœur pour certains il est vrai, se révisent. C’est leur problème. La réalité s’impose. Et la société civile amazighe doit rester vigilante et les générations futures doivent continuer la pression pour la valorisation de leurs revendications légitimes.
Question : un dernier mot !
Ouzzin Aherdan: Je vous demande d’intégrer, dans votre site, la version électronique de notre journal AGRAW AMAZIGH, pour qu’il puisse être consulté gratuitement. Merci. Tanemmirt.
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